Comparaison des récits de Matthieu 24.3-51, Marc 13.1-37 et Luc 21.5-36
Voici une comparaison approfondie des discours eschatologiques de Matthieu 24.3–51, Marc 13.1–37, et Luc 21.5–36, en trois temps : les points communs, les différences, puis les éléments propres à chaque évangéliste.
Points communs aux trois évangiles
Les trois textes partagent une structure narrative et théologique similaire. Le Messie Jésus quitte le Temple, annonce sa future destruction, puis répond à une question des disciples sur le moment et les signes de la fin. Il décrit une série d’événements :
L’apparition de faux messies et faux prophètes, capables de séduire.
Des guerres, famines, séismes, qualifiés de « commencements des douleurs ».
La persécution des disciples, livrés aux autorités, trahis par leurs proches.
L’appel à ne pas se laisser effrayer, mais à persévérer.
L’évocation de l’abomination de la désolation (sauf chez Luc, qui parle directement du siège de Jérusalem).
Une grande détresse, abrégée pour le salut des élus.
Des signes cosmiques : obscurcissement du soleil, chute des étoiles, ébranlement des puissances célestes.
La venue du Fils de l’homme dans la gloire, avec le rassemblement des élus.
L’image du figuier, annonçant la proximité du Royaume.
L’appel à la vigilance, car le jour et l’heure sont inconnus.
Ces éléments montrent que les trois évangélistes transmettent une tradition commune, probablement issue d’un enseignement oral structuré, centré sur la vigilance eschatologique.
Différences et nuances
Matthieu développe le discours avec une visée catéchétique. Il insiste sur la progression morale : refroidissement de l’amour, multiplication de l’iniquité, proclamation universelle de l’Évangile. Il ajoute des paraboles et des images de séparation (deux au champ, deux à la meule), et conclut avec la parabole du serviteur fidèle et infidèle, soulignant la responsabilité individuelle.
Marc, plus concis, conserve une structure dramatique et directe. Il nomme les quatre disciples présents (Pierre, Jacques, Jean, André), insiste sur le rôle de l’Esprit Saint dans le témoignage, et conclut par une exhortation universelle : « Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez. » Son style est sobre, mais tendu, avec une forte dynamique de mission et de vigilance.
Luc, quant à lui, adapte le discours à une perspective plus historique et pastorale. Il remplace l’« abomination de la désolation » par une description prophétique du siège de Jérusalem, et insiste sur la détresse du peuple, la colère divine, et la fin du temps des nations. Il ajoute des éléments propres : la mer agitée, les hommes rendant l’âme de terreur, et surtout une exhortation à veiller sur son cœur, à prier en tout temps, pour se tenir debout devant le Fils de l’homme.
Ce qui est propre à chaque évangile
Matthieu : insiste sur la fidélité dans l’attente, la séparation finale, et la responsabilité morale. Il développe une pédagogie du Royaume, avec des paraboles et des appels à la persévérance.
Marc : met l’accent sur la mission dans l’épreuve, la sobriété du style, et la vigilance universelle. Il conserve une tension dramatique forte.
Luc : relie le discours à la prophétie de la future destruction de Jérusalem, développe une manière d’enseigner fondée sur la peur, et insiste sur la transformation intérieure : vigilance du cœur, prière constante, espérance active.
Lecture théologique sur la transmission
Si l’on considère que Marc (via Pierre) avait accès au récit de Matthieu, et que Luc connaissait Matthieu et Marc, on peut tirer plusieurs enseignements :
Marc aurait simplifié et condensé le discours pour en garder la tension et l’urgence, fidèle au style de Pierre : direct, missionnaire, centré sur l’action.
Luc, médecin et historien, aurait intégré les récits précédents en les adaptant à une communauté confrontée à la chute de Jérusalem et à la peur du jugement. Il transforme le discours en appel à la paix intérieure, à la prière, et à la confiance.
Matthieu, plus structuré, vise une communauté juive en quête de repères : il relie les événements à l’Écriture, insiste sur l’accomplissement, et développe une catéchèse du Royaume.
Ainsi, chaque évangile transmet le même noyau eschatologique, mais avec une coloration théologique propre, selon les besoins de la communauté et la sensibilité de l’auteur.
