Parabole
Parabole 034
Le fils prodigue

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Textes bibliques

Luc 15.11–32 (S21)

11 Il dit encore : « Un homme avait deux fils.

12 Le plus jeune dit Ă  son pĂšre : ‘Mon pĂšre, donne-moi la part de l’hĂ©ritage qui doit me revenir.’ Le pĂšre leur partagea alors ses biens.

13 Peu de jours aprĂšs, le plus jeune fils ramassa tout et partit pour un pays Ă©loignĂ©, oĂč il gaspilla sa fortune en vivant dans la dĂ©bauche.

14 Alors qu’il avait tout dĂ©pensĂ©, une importante famine survint dans ce pays et il commença Ă  se trouver dans le besoin.

15 Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.

16 Il aurait bien voulu se nourrir des caroubes que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait.

17 Il se mit Ă  rĂ©flĂ©chir et se dit : ‘Combien d’ouvriers chez mon pĂšre ont du pain en abondance et moi, ici, je meurs de faim !

18 Je vais retourner vers mon pĂšre et je lui dirai : PĂšre, j’ai pĂ©chĂ© contre le ciel et contre toi,

19 je ne suis plus digne d’ĂȘtre appelĂ© ton fils, traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’

20 Il se leva et alla vers son pĂšre. Alors qu’il Ă©tait encore loin, son pĂšre le vit et fut rempli de compassion, il courut se jeter Ă  son cou et l’embrassa.

21 Le fils lui dit : ‘PĂšre, j’ai pĂ©chĂ© contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’ĂȘtre appelĂ© ton fils.’

22 Mais le pĂšre dit Ă  ses serviteurs : ‘Apportez [vite] le plus beau vĂȘtement et mettez-le-lui ; passez-lui un anneau au doigt et mettez-lui des sandales aux pieds.

23 Amenez le veau qu’on a engraissĂ© et tuez-le ! Mangeons et rĂ©jouissons-nous,

24 car mon fils que voici Ă©tait mort et il est revenu Ă  la vie, il Ă©tait perdu et il est retrouvĂ©.’ Et ils commencĂšrent Ă  faire la fĂȘte.

25 » Or le fils aĂźnĂ© Ă©tait dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses.

26 Il appela un des serviteurs et lui demanda ce qui se passait.

27 Le serviteur lui dit : ‘Ton frĂšre est de retour et ton pĂšre a tuĂ© le veau engraissĂ© parce qu’il l’a retrouvĂ© en bonne santĂ©.’

28Le fils aĂźnĂ© se mit en colĂšre et il ne voulait pas entrer. Son pĂšre sortit le supplier d’entrer,

29 mais il rĂ©pondit Ă  son pĂšre : ‘VoilĂ  tant d’annĂ©es que je suis Ă  ton service sans jamais dĂ©sobĂ©ir Ă  tes ordres, et jamais tu ne m’as donnĂ© un chevreau pour que je fasse la fĂȘte avec mes amis.

30 Mais quand ton fils est arrivĂ©, celui qui a mangĂ© tes biens avec des prostituĂ©es, pour lui tu as tuĂ© le veau engraissĂ© !’

31 ‘Mon enfant, lui dit le pùre, tu es toujours avec moi et tout ce que j’ai est à toi,

32 mais il fallait bien faire la fĂȘte et nous rĂ©jouir, parce que ton frĂšre que voici Ă©tait mort et il est revenu Ă  la vie, il Ă©tait perdu et il est retrouvĂ©.’ »

(Traduction Louis Segond S21)

Résumé de la parabole

Dans Luc 15.11-32, le Messie JĂ©sus raconte la parabole du fils prodigue. Un homme avait deux fils. Le plus jeune des deux fils demande Ă  son pĂšre sa part d’hĂ©ritage et part pour un pays lointain oĂč il dilapide toute sa fortune dans une vie dissolue. Lorsqu’il a tout dĂ©pensĂ©, une grande famine survient et il se retrouve dans le besoin, travaillant comme gardien de porcs.

RĂ©alisant la gravitĂ© de sa situation, il dĂ©cide de retourner chez son pĂšre et de lui demander pardon, se contentant d’ĂȘtre traitĂ© comme un simple serviteur. Mais lorsque son pĂšre le voit revenir, il est rempli de compassion, court Ă  sa rencontre, l’embrasse et ordonne de prĂ©parer une fĂȘte pour cĂ©lĂ©brer son retour.

Le fils aĂźnĂ©, en revenant des champs, apprend la nouvelle et se met en colĂšre, refusant de participer Ă  la fĂȘte. Le pĂšre sort pour le supplier d’entrer, expliquant que tout ce qu’il a est Ă  lui, mais qu’il fallait se rĂ©jouir car son frĂšre Ă©tait mort et est revenu Ă  la vie, il Ă©tait perdu et a Ă©tĂ© retrouvĂ©.

Le contexte du discours

La parabole du fils prodigue (Luc 15.11-32) a Ă©tĂ© proclamĂ©e dans un contexte de controverse religieuse et sociale, oĂč le Messie JĂ©sus rĂ©pondait aux critiques des pharisiens et des scribes. Voici le cadre immĂ©diat et Ă©largi :

Contexte immédiat : Luc 15.1-2

Le chapitre commence ainsi : « Tous les publicains et les gens de mauvaise vie s’approchaient de JĂ©sus pour l’entendre. Et les pharisiens et les scribes murmuraient, disant : ‘Cet homme accueille des pĂ©cheurs, et il mange avec eux.’ »

Ce reproche des autoritĂ©s religieuses dĂ©clenche une sĂ©rie de trois paraboles, la brebis perdue (Luc 15.3-7), la drachme perdue (Luc 15.8-10), et le fils prodigue (Luc 15.11-32), toutes centrĂ©es sur la misĂ©ricorde divine et la joie du salut. Le Messie JĂ©sus rĂ©pond Ă  l’indignation des religieux en rĂ©vĂ©lant le cƓur du PĂšre : non pas un juge froid, mais un pĂšre aimant qui cherche, accueille, et cĂ©lĂšbre le retour du pĂ©cheur.

Contexte narratif et théologique

Luc situe cette parabole dans une section de son Ă©vangile oĂč le Messie JĂ©sus enseigne sur le Royaume de Dieu, souvent Ă  travers des paraboles. Le chapitre 15 est un sommet de cette pĂ©dagogie : il dĂ©voile la logique divine, qui renverse les attentes humaines. Le fils prodigue, qui transgresse tout, est accueilli avec grĂące ; le fils aĂźnĂ©, fidĂšle mais amer, peine Ă  entrer dans la joie du pardon. Cela reflĂšte la tension entre les pĂ©cheurs repentants et les justes qui refusent la misĂ©ricorde.

Contexte culturel et social

Dans le judaĂŻsme du premier siĂšcle, l’honneur familial, l’obĂ©issance filiale, et la puretĂ© rituelle Ă©taient des valeurs centrales. Le comportement du fils cadet, demander sa part d’hĂ©ritage, partir, dilapider, vivre parmi les porcs, est une sĂ©rie de transgressions majeures. Le pĂšre, en courant vers lui et en l’embrassant, brise les conventions sociales pour incarner la compassion divine. C’est un geste radical, presque scandaleux, qui rĂ©vĂšle la nature du Royaume.

En somme, cette parabole est proclamĂ©e en rĂ©ponse Ă  une accusation, dans un climat de tension entre la grĂące offerte aux exclus et la rigiditĂ© des religieux. Elle dĂ©voile un Dieu qui cherche, qui pardonne, et qui cĂ©lĂšbre, et elle invite chacun Ă  entrer dans cette joie, mĂȘme ceux qui pensent n’en avoir pas besoin.

ThĂšme

Le thĂšme central de la parabole du fils prodigue (Luc 15.11-32) est la misĂ©ricorde du PĂšre et la joie du pardon, mais il s’articule autour de plusieurs axes profonds :

Le pardon inconditionnel

Le pĂšre accueille son fils cadet sans reproche, avec une tendresse bouleversante. Ce geste incarne l’amour divin qui ne tient pas compte des fautes passĂ©es lorsque le cƓur revient. Le pardon n’est pas mĂ©ritĂ©, il est offert.

La repentance authentique

Le fils prodigue, aprĂšs avoir dilapidĂ© son hĂ©ritage et touchĂ© le fond, « rentre en lui-mĂȘme ». Il reconnaĂźt sa faute, se lĂšve, et revient vers son pĂšre avec humilitĂ©. Ce mouvement intĂ©rieur est au cƓur de la conversion.

La joie du retour

Le pĂšre ne se contente pas d’accueillir : il court, embrasse, revĂȘt son fils, et organise une fĂȘte. Cette exubĂ©rance traduit la joie cĂ©leste pour chaque Ăąme retrouvĂ©e. Le salut est une cĂ©lĂ©bration.

La tension entre justice et grĂące

Le fils aĂźnĂ©, fidĂšle mais amer, incarne ceux qui peinent Ă  accepter la gratuitĂ© du pardon. Son indignation rĂ©vĂšle une logique de mĂ©rite, opposĂ©e Ă  celle de la grĂące. Le pĂšre l’invite Ă  entrer dans la joie, mais ne le force pas.

L’identitĂ© restaurĂ©e

Le fils ne revient pas comme serviteur, mais est rĂ©tabli dans sa dignitĂ© filiale. La bague, le vĂȘtement, les sandales sont des signes de rĂ©intĂ©gration. Dieu ne nous tolĂšre pas : Il nous restaure.

En somme, cette parabole rĂ©vĂšle un Dieu qui cherche, qui attend, qui pardonne, et qui se rĂ©jouit. Elle invite chacun Ă  reconnaĂźtre sa propre errance, Ă  revenir, et Ă  entrer dans la fĂȘte du Royaume. Elle parle autant aux pĂ©cheurs qu’aux justes, en appelant tous Ă  la misĂ©ricorde.

Description de la Parabole

Voici une description détaillée, verset par verset, de la parabole du fils prodigue selon Luc 15.11-32 :

Luc 15.11

« Un homme avait deux fils. »

L’ouverture est simple mais structurante : elle pose un cadre familial, avec deux figures contrastĂ©es qui incarneront deux attitudes spirituelles. Le pĂšre reprĂ©sente Dieu, les fils symbolisent deux types de relation Ă  Dieu, l’un qui s’éloigne, l’autre qui reste mais ne comprend pas la grĂące.

Luc 15.12

« Le plus jeune dit Ă  son pĂšre : ‘PĂšre, donne-moi la part de bien qui doit me revenir.’ Et le pĂšre leur partagea son bien. »

La demande du fils cadet est choquante dans le contexte juif du premier siĂšcle : rĂ©clamer l’hĂ©ritage avant la mort du pĂšre revient Ă  souhaiter sa disparition. Pourtant, le pĂšre ne s’oppose pas : il respecte la libertĂ© du fils, ce qui reflĂšte la libertĂ© que Dieu accorde Ă  l’homme, mĂȘme lorsqu’il choisit de s’éloigner.

Luc 15.13-16

Le fils part pour un pays lointain, dilapide ses biens dans une vie de dĂ©sordre, puis connaĂźt la misĂšre. Il en vient Ă  garder les porcs — animal impur dans la culture juive — et Ă  envier leur nourriture. Cette descente progressive illustre l’aliĂ©nation spirituelle : l’éloignement de Dieu mĂšne Ă  la perte de dignitĂ©, Ă  la faim intĂ©rieure, et Ă  l’oubli de soi.

Luc 15.17-19

« Étant rentrĂ© en lui-mĂȘme
 »

Ce moment est crucial : le fils prend conscience de son Ă©tat. Il se souvient de la bontĂ© de son pĂšre, mĂȘme envers ses serviteurs. Il prĂ©pare une confession humble, se reconnaissant indigne d’ĂȘtre appelĂ© fils. C’est l’image de la repentance authentique : luciditĂ©, regret, et dĂ©sir de retour.

Luc 15.20

« Comme il Ă©tait encore loin, son pĂšre le vit et fut Ă©mu de compassion
 »

Le pĂšre ne l’attend pas passivement : il guette son retour, court vers lui, geste inhabituel et humiliant pour un homme ĂągĂ© dans la culture juive, l’embrasse et le couvre de tendresse. Ce verset est le cƓur de la parabole : il rĂ©vĂšle un Dieu qui prend l’initiative, qui ne retient les fautes, et qui accueille avec amour.

Luc 15.21-24

Le fils commence sa confession, mais le pĂšre l’interrompt pour ordonner qu’on lui apporte le meilleur vĂȘtement, une bague, des sandales, signes de dignitĂ©, de filiation, de libertĂ©. Il fait tuer le veau gras pour cĂ©lĂ©brer. Le pardon n’est pas seulement accordĂ© : il est fĂȘtĂ©. Le salut est une joie dĂ©bordante.

Luc 15.25-30

Le fils aĂźnĂ© revient des champs, apprend la fĂȘte, et s’indigne. Il refuse d’entrer. Il reproche Ă  son pĂšre de ne jamais lui avoir donnĂ© un chevreau pour se rĂ©jouir, alors que le fils cadet, selon lui, a tout gaspillĂ©. Ce passage rĂ©vĂšle une logique de mĂ©rite, de justice humaine, incapable d’accueillir la grĂące. Le fils aĂźnĂ© est fidĂšle en apparence, mais son cƓur est loin de la misĂ©ricorde.

Luc 15.31-32

« Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est Ă  toi. Il fallait bien se rĂ©jouir
 »

Le pĂšre rĂ©pond avec douceur, rappelant l’amour constant qu’il porte Ă  son fils aĂźnĂ©. Mais il insiste : la joie du retour est nĂ©cessaire. Le frĂšre Ă©tait mort, il est vivant ; il Ă©tait perdu, il est retrouvĂ©. Le salut d’un seul mĂ©rite la fĂȘte. Le pĂšre invite Ă  entrer dans la logique du Royaume : celle de la misĂ©ricorde et de la restauration.

Cette parabole est une fresque spirituelle : elle parle de libertĂ©, de chute, de repentance, de pardon, et de la difficultĂ© Ă  accepter la grĂące quand on croit mĂ©riter l’amour de Dieu. Elle nous interroge sur notre propre posture : sommes-nous le fils cadet, le fils aĂźnĂ©, ou le pĂšre dans nos relations ?

Signification de la parabole

Historiquement, cette parabole est racontĂ©e dans le contexte des critiques des pharisiens et des scribes envers JĂ©sus, qui accueille des pĂ©cheurs et mange avec eux. JĂ©sus utilise cette histoire pour illustrer la misĂ©ricorde et l’amour inconditionnel de Dieu pour les pĂ©cheurs.

Les points clés de la signification incluent :

MisĂ©ricorde et Compassion : La rĂ©ponse du pĂšre au retour du fils prodigue illustre la misĂ©ricorde et l’amour inconditionnel de Dieu. Dieu accueille avec joie et pardon ceux qui se repentent, indĂ©pendamment de leurs fautes passĂ©es.

Repentance et Restauration : Le retour du fils prodigue représente la repentance et la restauration. Le fils reconnaßt ses erreurs et retourne vers son pÚre, symbolisant le retour des pécheurs vers Dieu.

RĂ©action du Fils AĂźnĂ© : Le fils aĂźnĂ© reprĂ©sente ceux qui se sentent justes et mĂ©ritants, mais manquent de compassion envers les repentis. Cette attitude critique des autoritĂ©s religieuses de l’Ă©poque, soulignant que la misĂ©ricorde de Dieu s’Ă©tend Ă©galement Ă  ceux qui sont perçus comme indignes.

Conclusion

La parabole du fils prodigue dans Luc 15.11-32 enseigne des leçons puissantes sur la misĂ©ricorde, la repentance et la joie de la rĂ©demption. JĂ©sus montre que Dieu attend avec impatience le retour des pĂ©cheurs et les accueille avec une joie immense. Cette parabole critique Ă©galement l’attitude des personnes qui manquent de compassion envers les repentis et qui se considĂšrent comme plus justes. Elle appelle Ă  une comprĂ©hension profonde de l’amour et de la misĂ©ricorde de Dieu, exhortant les croyants Ă  embrasser la repentance et Ă  se rĂ©jouir du retour des Ăąmes perdues.

Lecture allégorique : Israël et les nations

La parabole du fils prodigue (Luc 15.11–32) ne nomme pas explicitement le peuple juif, mais plusieurs lectures allĂ©goriques et typologiques ont vu dans les deux fils une reprĂ©sentation de groupes plus larges, notamment IsraĂ«l et les paĂŻens. Voici quelques pistes de rĂ©flexion :

Lecture allégorique : Israël et les nations

Le fils aĂźnĂ© : souvent interprĂ©tĂ© comme reprĂ©sentant le peuple juif fidĂšle, restĂ© « à la maison », c’est-Ă -dire dans l’observance de la Loi et l’alliance avec Dieu.

Le fils cadet : vu comme les pécheurs ou les païens, qui se sont éloignés de Dieu mais sont accueillis avec miséricorde à leur retour.

Cette lecture s’inscrit dans le contexte plus large de Luc 15.11-32, oĂč le Messie JĂ©sus rĂ©pond aux critiques des pharisiens qui lui reprochent d’accueillir les pĂ©cheurs. Elle reflĂšte aussi la tension entre les premiers destinataires de l’alliance (IsraĂ«l) et l’ouverture du salut aux nations (l’Eglise).

Contexte historique et théologique

Le Messie JĂ©sus s’adresse Ă  un auditoire juif, et les paraboles de Luc 15 (la brebis perdue, la piĂšce perdue, le fils perdu) visent Ă  montrer la joie divine face Ă  la repentance.

Le fils aĂźnĂ©, qui refuse de se rĂ©jouir, peut ĂȘtre vu comme une critique des Ă©lites religieuses juives qui rejettent l’inclusion des pĂ©cheurs et des exclus.

Le pÚre incarne Dieu, dont la miséricorde dépasse les attentes humaines et les frontiÚres ethniques ou religieuses.

ParallĂšles scripturaires

On peut rapprocher cette parabole d’OsĂ©e 11.1-9, oĂč Dieu parle d’IsraĂ«l comme d’un fils rebelle qu’il ne peut se rĂ©soudre Ă  abandonner.

Le thĂšme du retour d’exil, trĂšs prĂ©sent dans les prophĂštes, rĂ©sonne ici : le fils revient de “loin”, comme IsraĂ«l revenu de captivitĂ©.

Lecture spirituelle et universelle

MĂȘme si une lecture juifs/paĂŻens est possible, la force de cette parabole rĂ©side dans sa portĂ©e universelle : elle parle Ă  chaque personne, chaque communautĂ©, confrontĂ©e Ă  l’égarement, au pardon, et Ă  la difficultĂ© d’accueillir la grĂące offerte Ă  autrui.

Qui le fils aßné incarne-t-il dans cette parabole ?

Dans la parabole du fils prodigue (Luc 15.11–32), le fils aĂźnĂ© incarne plusieurs figures selon les niveaux de lecture, historique, thĂ©ologique et spirituel.

Lecture historique : les pharisiens et les scribes

Dans le contexte immĂ©diat de Luc 15, JĂ©sus s’adresse Ă  des pharisiens et scribes qui murmurent parce qu’il accueille les pĂ©cheurs (Luc 15.1–2).

Le fils aßné représente ceux qui se considÚrent justes, fidÚles à la Loi, mais qui refusent la joie du pardon accordé aux pécheurs.

Il incarne une attitude de ressentiment, d’incomprĂ©hension face Ă  la misĂ©ricorde divine.

Lecture thĂ©ologique : IsraĂ«l face Ă  l’ouverture du salut

Le fils aĂźnĂ© peut symboliser le peuple juif, hĂ©ritier de l’alliance, qui voit avec perplexitĂ© l’accueil des pĂ©cheurs et des paĂŻens dans le Royaume.

Il ne comprend pas que le salut est don gratuit, non fondĂ© sur le mĂ©rite ou l’anciennetĂ©.

Cette figure Ă©voque aussi l’endurcissement dĂ©crit par Paul en Romains 11.1-33, face Ă  l’entrĂ©e des nations dans le salut.

Lecture spirituelle : le cƓur du croyant

Le fils aĂźnĂ© peut ĂȘtre chacun de nous, lorsque nous nous comparons, jugeons, ou refusons de nous rĂ©jouir du retour d’un frĂšre.

Il rĂ©vĂšle une forme de religiositĂ© froide, fondĂ©e sur le devoir, mais sans communion avec le cƓur du PĂšre.

Il est proche physiquement, mais loin intérieurement, un paradoxe spirituel puissant.

Détail narratif à noter

Le pĂšre sort Ă  sa rencontre (Luc 15.28), comme il l’a fait pour le fils cadet. Cela montre que la misĂ©ricorde s’adresse aussi Ă  celui qui ne se croit pas perdu, mais qui l’est autrement, par son orgueil ou son enfermement.

Reprise de ce thĂšme

Le thĂšme de la parabole du fils prodigue, la misĂ©ricorde du PĂšre, la repentance, et la restauration, est profondĂ©ment enracinĂ© dans toute la Bible. Il est repris et dĂ©veloppĂ© dans plusieurs textes, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament. Voici les principaux Ă©chos :

Dans l’Ancien Testament

OsĂ©e 11.1-9 : Dieu parle de son amour pour IsraĂ«l comme celui d’un pĂšre pour son enfant :

« Quand IsraĂ«l Ă©tait jeune, je l’aimais
 Je les attirais avec des liens d’amour. » MalgrĂ© la rĂ©bellion du peuple, Dieu affirme qu’il ne le rejettera pas. Ce passage prĂ©figure le cƓur du PĂšre dans la parabole : blessĂ©, mais fidĂšle et prĂȘt Ă  pardonner.

Esaïe 55.6-7 :

« Que le mĂ©chant abandonne sa voie
 car il pardonne abondamment. » L’appel Ă  la repentance est suivi d’une promesse de pardon gĂ©nĂ©reux, comme dans le retour du fils cadet.

Psaumes 103.8-13[b] :

« Comme un pĂšre a compassion de ses enfants, l’Éternel a compassion de ceux qui le craignent. » Ce psaume cĂ©lĂšbre la misĂ©ricorde divine, lente Ă  la colĂšre et riche en bontĂ© — traits que l’on retrouve dans le pĂšre de la parabole.

Dans le Nouveau Testament

[b]Luc 15.1-10 :

Les deux paraboles qui prĂ©cĂšdent — la brebis perdue et la drachme perdue — expriment la mĂȘme dynamique : Dieu cherche activement ce qui est perdu et se rĂ©jouit du retour. Le fils prodigue est la troisiĂšme variation sur ce thĂšme, mais avec une intensitĂ© narrative plus forte.

Jean 1.12 :

« À tous ceux qui l’ont reçu
 il a donnĂ© le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » La restauration du fils prodigue comme fils, et non comme serviteur, trouve un Ă©cho dans cette promesse de filiation par la foi.

Romains 5.8 :

« Dieu prouve son amour envers nous en ce que, lorsque nous Ă©tions encore pĂ©cheurs, Christ est mort pour nous. » La grĂące prĂ©cĂšde le mĂ©rite. Le pĂšre court vers le fils avant mĂȘme qu’il ait fini sa confession — comme Dieu nous aime avant notre transformation.

2 Corinthiens 5.17-20 :

« Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle crĂ©ature
 » La parabole illustre cette rĂ©conciliation : le fils revient, et tout est renouvelĂ©. Le pĂšre ne le tolĂšre pas, il le restaure.

Dans les écrits prophétiques et sapientiaux

Proverbes 28.13

« Celui qui cache ses transgressions ne prospÚre pas, mais celui qui les avoue et les délaisse obtient miséricorde. » Le fils prodigue illustre cette vérité : il avoue, il revient, et il est relevé.

Ezéchiel 18.21-23 :

Dieu affirme qu’il ne prend pas plaisir Ă  la mort du mĂ©chant, mais Ă  sa conversion. C’est exactement ce que cĂ©lĂšbre le pĂšre dans la parabole : « Il Ă©tait mort, et il est revenu Ă  la vie. »

Ce thĂšme, la joie du pardon, la dignitĂ© restaurĂ©e, et l’amour inconditionnel du PĂšre, est l’un des fils rouges de toute l’Écriture. Il rĂ©vĂšle non seulement la nature de Dieu, mais aussi l’appel adressĂ© Ă  chacun : revenir, ĂȘtre relevĂ©, et entrer dans la fĂȘte du Royaume.

Commentaire

Nous avons déjà dit que le chapitre 15 de Luc comportait un triptyque composé de :

La brebis perdue (Luc 15.3–7)

La drachme perdue (Luc 15.8–10)

Le fils prodigue (Luc 15.11–32)

Ces trois paraboles prennent place dans un contexte prĂ©cis : celui d’une controverse entre JĂ©sus et les pharisiens. Ces derniers reprochaient Ă  JĂ©sus de manifester de l’intĂ©rĂȘt pour des personnes qui, selon leurs critĂšres religieux, Ă©taient Ă©loignĂ©es des principes de la Loi. Pour eux, ces hommes et ces femmes Ă©taient considĂ©rĂ©s comme infrĂ©quentables, et le simple fait de s’approcher d’eux reprĂ©sentait une souillure spirituelle.

On observe dans les paraboles une progression significative quant au nombre de personnes concernĂ©es. Dans la premiĂšre parabole, il s’agit d’une brebis sur cent ; dans la deuxiĂšme, une piĂšce sur dix ; enfin, dans la troisiĂšme, un homme sur deux. Cette montĂ©e en intensitĂ© met en lumiĂšre l’importance toujours croissante de l’individu aux yeux de Dieu.

Contrairement aux deux premiĂšres, la parabole du fils prodigue ne repose pas sur un langage imagĂ©, mais prĂ©sente une histoire fictive de famille. Ce choix narratif vise Ă  illustrer de maniĂšre concrĂšte et accessible jusqu’oĂč peut aller l’amour de Dieu pour les hommes. Par ce rĂ©cit, l’accent est mis sur la profondeur et l’étendue de la misĂ©ricorde divine.

Il paraĂźt Ă©vident que les auditeurs, en Ă©coutant la parabole, auraient anticipĂ© un dĂ©nouement tout autre, oĂč le pĂšre rejette le fils prodigue. Cette rĂ©action leur aurait semblĂ© naturelle, car l’attitude du fils aĂźnĂ© leur Ă©tait plus familiĂšre et comprĂ©hensible que celle pleine de misĂ©ricorde du pĂšre.

La conclusion de la parabole est donc inattendue : elle introduit un principe radicalement opposĂ© Ă  celui qui rĂ©git la vie quotidienne et les relations humaines. En effet, la rĂšgle de « Ɠil pour Ɠil, dent pour dent » constituait la norme courante au sein du peuple, dictant une justice rĂ©tributive et sans concession.

Pourtant, mĂȘme si le pardon peut surprendre, il demeure en parfaite adĂ©quation avec la position de Dieu. Ce pardon, illustrĂ© par l’attitude du pĂšre envers son fils, est celui que tout disciple est appelĂ© Ă  adopter.

Il apparaĂźt ainsi qu’il existe sans doute beaucoup trop de fils aĂźnĂ©s parmi les disciples, c’est-Ă -dire des personnes davantage portĂ©es vers la justice stricte que vers la misĂ©ricorde et le pardon vĂ©ritable.

Une interprĂ©tation possible de la parabole veut que le fils aĂźnĂ© reprĂ©sente le peuple d’IsraĂ«l, tandis que le fils cadet symbolise les paĂŻens et, par extension, l’Église. Cette lecture ne vient toutefois pas exclure la portĂ©e universelle dĂ©jĂ  mise en avant dans l’analyse prĂ©cĂ©dente, mais en constitue une dimension complĂ©mentaire.

Il convient de replacer cette interprĂ©tation dans le contexte historique oĂč JĂ©sus a prononcĂ© ces paroles (Luc 15.1-2). À cette Ă©poque, le royaume des cieux Ă©tait perçu comme une promesse rĂ©servĂ©e presque exclusivement au peuple juif, l’Église n’existant pas encore. Cependant, on note que, dĂ©jĂ , le Messie JĂ©sus annonçait l’entrĂ©e d’autres personnes, des paĂŻens, dans le royaume des cieux, comme le suggĂšrent Luc 13.29, Matthieu 8.11 et Jean 10.16.

Dans ce contexte, il est lĂ©gitime de s’interroger sur la maniĂšre dont les auditeurs de JĂ©sus ont compris cette parabole. Leur perception Ă©tait sans doute influencĂ©e par la conception traditionnelle du royaume des cieux, ce qui pouvait rendre le message de JĂ©sus surprenant et dĂ©stabilisant. Cette ouverture vers un salut universel, implicitement contenue dans la parabole, interroge ainsi la comprĂ©hension et l’accueil du message par les auditeurs de l’époque.

Conclusion

La parabole du fils prodigue offre une illustration saisissante de la bontĂ© de Dieu, une rĂ©alitĂ© qui demeure difficile Ă  saisir puisqu’elle s’oppose radicalement aux principes de la justice humaine. LĂ  oĂč l’homme aurait tendance Ă  appliquer des critĂšres stricts de justice rĂ©tributive, Dieu, lui, manifeste une misĂ©ricorde qui surprend et dĂ©route. Cette bontĂ© va bien au-delĂ  de ce que l’on pourrait attendre ou mĂȘme concevoir dans les rapports humains.

Le rĂ©cit met Ă©galement en lumiĂšre la puissance de la repentance authentique. Rien ne semble pouvoir limiter ce pouvoir : mĂȘme l’homme considĂ©rĂ© comme le plus indigne ou le plus Ă©loignĂ© conserve toujours la possibilitĂ© de revenir et d’ĂȘtre accueilli. Le message sous-jacent est que le pardon divin n’est jamais hors de portĂ©e, quelle que soit la gravitĂ© des fautes commises.

Le fils aĂźnĂ©, quant Ă  lui, incarne une vision du monde plus conforme Ă  la rĂ©alitĂ© quotidienne et Ă  l’expĂ©rience humaine. Pourtant, cette attitude est dĂ©savouĂ©e par le pĂšre, qui ne retient que la joie du retour du fils prodigue. Ce contraste met en Ă©vidence deux façons de regarder la vie et les autres : celle du fils aĂźnĂ©, axĂ©e sur la justice et le mĂ©rite, et celle du pĂšre, fondĂ©e sur la grĂące et l’accueil inconditionnel.

Ainsi, la parabole invite chacun Ă  s’interroger sur sa propre posture : se reconnaĂźt-on davantage dans le regard du fils aĂźnĂ© ou dans celui du pĂšre ? Cette rĂ©flexion est essentielle pour comprendre Ă  quel camp on appartient vĂ©ritablement. Le comportement du fils aĂźnĂ© rĂ©vĂšle qu’il n’a pas su reconnaĂźtre ni apprĂ©cier la bontĂ© du pĂšre Ă  son Ă©gard. Sa jalousie manifeste une attitude critiquable, soulignant qu’il a, lui aussi, besoin de se repentir et d’ouvrir son cƓur Ă  la misĂ©ricorde.